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Bolchaia Katia

Catherine Grunberg est la fille de Vera Pavlovna Tatischeff, descendane d'une illustre famille, et de Boris Dimitrievitch Riasanoff qui est juriste, juge de paix dans les pays baltes, avocat à Saint-Pétersbourg et expert en tableaux. Son grand-père, Dimitri Fedorovitch Riasanoff, ingénieur, s'illustra en bâtissant le Pont Troïstky sur la Neva. Il avait épousé une descendante du célèbre pédagogue Pestalozzi. Katia a 3 frères, Serge officier de marine émigré au Canada, Petia qui est musicien et est resté en Russie,  André colonel des dragons finlandais qui a émigré à Paris et est enterré au cimetière, et une sœur cadette prénommée Vera comme sa mère et qui est restée en Russie.

Ekaterina riazanova entra dans le lycée privé privilégié de Tagantseva, où seules les filles des grands fonctionnaires, des militaires, des représentants du barreau et du département judiciaire étaient acceptées. En 1914, elle est diplômée du Gymnase avec une médaille d'or et est entrée aux cours supérieurs d'architecture de Baga, où les cours ont été organisés selon le programme de l'Académie des arts, c'est - à - dire avec un virage vers la conception artistique des objets, peut-être au détriment des aspects techniques de la construction. À l'automne de 1918, elle est entrée à l'Académie des arts dans le groupe du futur académicien d'architecture I. A. Fomin, où elle a fait de grands progrès au cours des deux premières années de sa formation. Le 25 avril 1920 elle s'est mariée avec un étudiant de l'Académie des arts Vladimir.Grunberg. Le 6 janvier 1921, les jeunes mariés ont eu une fille, Marianne. Au cours de cette année, Vladimir Grunberg a été arrêté deux fois et miraculeusement échappé à la peine capitale, et à la fin du mois d'octobre, la famille a émigré en France. En 1931, le fils de Youlik est né. Les Co-fondateurs de Katia à l'Académie des arts - Ai gegello, Na Trotsky, etc. sont devenus des architectes célèbres en URSS, elle est devenue femme au foyer.

Katia a rédigé un livret "souvenirs de Russie après la révolution pour mes enfants" dont les extraits sont reproduits ci-dessous.

Souvenirs de Russie après la révolution 1917 pour mes enfants

La famille Riasanoff vit à Saint-Pétersbourg et possède un domaine dans le département de Saratov. Cette vaste propriété au périmètre triangulaire a été offerte au marin Waksel, un des ancêtres suédois de la famille, par Catherine la Grande en récompense de ses travaux dans des régions reculées de l'empire. La légende raconte que Waksel reçut en cadeau de l'impératrice autant de mètres carrés qu'il put parcourir en une journée de marche à pied.

Au début de l'été 1917 la famille Riasanoff décide de quitter Pétrograd pour s'installer à la campagne dans la demeure de tante Sonia et « y attendre une période plus calme ». La vie semble s'écouler la bas aussi paisiblement que par le passé. Les domestiques sont toujours là, cependant la femme de chambre lit les journaux et ne se prive pas de faire des commentaires à voix haute. Deux semaines après l'arrivée de la famille Riasanoff, tante Sonia est convoquée à une réunion de paysans : on lui reproche d'utiliser ses chevaux et ses palefreniers pour ses promenades, et pas seulement aux travaux des champs. Les convocations se succèdent avec leur cortège de nouvelles exigences: le renvoi du cuisinier, du jardiner puis enfin des domestiques. Un soir une vingtaine d'hommes surgissent en proférant des menaces. Ils ne tardent pas à emmener tante Sonia avec eux. Affolées, Katia et sa mère rassemblent à la hâte leurs objets les plus précieux. Le fils, Petia, attelle la troïka et toute la famille se rend au milieu de la nuit dans leur maison de Pavlovka éloignée seulement de quatre verstes. Inquiets pour tante Sonia, ils dépêchent un envoyé aux nouvelles. Ce dernier revient bientôt et les rassure : tante Sonia a été relâchée en échange d'une partie de ses terres et de son bétail. En fait les paysans cherchaient à racheter les biens de leur tante afin d'éviter un partage officiel désavantageux pour tous. Ils apprennent aussi la réaction des paysans à leur fuite : « C'est mal d'avoir ainsi ennuyé nos maîtres ! »...

Dénonciations et menaces se succèdent en même temps que des réactions de compassion de la part des paysans. Le 30 août Katia et sa famille sont invités pour fêter un anniversaire. Mais la fête est troublée par une foule de paysans qui leur reprochent de boire du vin à table alors que tout le vin a été confisqué. Quelques bouteilles avaient effectivement été cachées dans le grand poêle. Toute la famille sort sur le balcon et le père de Katia demande :

«- Que désirez-vous ?

- Nous sommes des députés paysans.

- Moi aussi je suis un député, réplique Boris, mais de la noblesse.

Un silence suit cette déclaration puis une voix s'élève :

- Vous avez assez bu notre sang !

Sans se départir de son calme le père répond :

- Voilà encore une invention, je n'ai jamais bu de sang et ne boirai jamais une chose aussi dégoutante. Que voulez vous?

- Nous avons reçu l'ordre de fouiller la maison.»

Boris les invite à entrer. Les paysans repartiront très vite sans avoir rien trouvé de compromettant.

C'est la fin de l'été et l'heure de la rentrée a sonné pour les enfants. Les paysans soucieux pour leurs maîtres leur déconseillent de regagner la ville où règne déjà la famine en disant : « A quoi bon aller là -bas? Les enfants peuvent très bien aller à l'école à Penza. » Le père de Katia décide alors de regagner Saint Pétersbourg pour se rendre compte de la situation par lui- même et envoie femme et enfants à Penza. Katia le rejoindra à Saint Pétersbourg quelques mois plus tard.

Katia reprend ses cours d'architecture à l'école de Bagaère mais ses études sont sans cesse perturbées par les événements. Katia donne aussi des leçons particulières. Tamara, l'une de ses élèves, rêve de devenir danseuse et fait des arabesques pendant les leçons. Dans les immeubles, les locataires se réunissent et forment un comité pour assurer leur protection et la surveillance de nuit car il n'y a plus de concierge. C'est ce même comité qui organise une fête de Noël pour tous les enfants de l'immeuble. Pour l'occasion, Katia, sa sœur Vera, et une amie du cours d'architecture mettent en scène le conte de Cendrillon. Le spectacle remportera un vif succès.

La famille se rend régulièrement dans la demeure de leur voisin le Colonel Nievodovsky, fréquentée aussi par de fringants hussards du régiment Gromiensky que la grande beauté de Katia ne laissent pas indifférents. Katia décline toutes les demandes de rendez-vous par des pirouettes. Un jour qu'elle rend visite à une amie, elle tombe sur l'un des jeunes gens en uniforme de hussard, Mikiachevsky. Il l'attend après qu'elle ait rendu visite à son amie. Katia lui demande pourquoi il n'est plus venu chez le colonel.

« A cause de vous ! déclare le jeune homme. »

Et devant le regard surpris de Katia il avoue :

« Je vous aime depuis notre première rencontre. Mais j'avais peur que vous me rejetiez, alors je me suis efforcé de vous oublier. Mais c'est le destin qui m'a permis de vous revoir aujourd'hui. Accepteriez-vous d'être ma femme? » demande Mikiachevsky sans autre préambule.

Katia, stupéfaite, et sans doute un peu flattée à la fois, répond par un « peut-être » . Le jeune homme demande alors la permission de rendre visite aux parents de Katia pour qu'ils lui accordent sa main. Cette fois Katia prend peur et lui demande de patienter. Pourtant dès le lendemain le jeune hussard sera là pour l'accompagner à ses cours et l'attendra à la sortie pour la ramener chez elle. Un jour il lui offre un mouchoir brodé et une bague, cadeaux de fiançailles traditionnels. Mais la personnalité de Mikiachevsky, sa façon de parader, le récit de ses conquêtes passées, ne tardent pas à déplaire à la jeune fille. Il vante sans cesse sa beauté auprès de ses camarades de régiment. « II parle de moi comme de son cheval » constate-t-elle dans son journal. Même si toutes ses amies l'envient d'être courtisée par un homme d'une telle prestance, Katia s'en veut d'avoir accepté sans réfléchir qu'il lui fasse la cour. Il faut trouver un moyen de rompre au plus vite. Un jour que Mikiachevsky lui fait un petit reproche elle saisit l'occasion pour lui rendre la bague et le mouchoir en lançant : « c'est assez ! Je ne suis pas encore votre femme que vous me dictez déjà ma conduite. » Katia reste inflexible devant les supplications du jeune homme et ses diverses tentatives auprès de leurs amis communs pour l'influencer. Elle lui écrira tout de même une lettre d'excuse.

Au printemps 1918, les interminables queues pour se procurer des denrées courantes font déjà partie de la routine. Tout petit boulot est bon à prendre et Katia n'hésite pas à se faire embaucher pour dégager la neige des rues et les voies ferrées. Elle se fait ensuite engager par la maison Pétrole Océan qui recherche des jeunes filles « convenables » pour des postes de cadre. Elle est chargée de classer des archives avec plusieurs autres jeunes filles dont Ekaterina Grave qui deviendra son amie. A l'automne 1918, Katia entre à l'Académie des Beaux-Arts dans l'atelier d'architectes de Fomine. Sur plus de soixante-dix étudiants il n'y a que trois jeunes filles. Les tables de travail sont distribuées et Katia s'installe dans une salle aux murs verts. Alors que les étudiants sont déjà au travail, Katia voit arriver un jeune homme qui cherche désespérément où se caser, car toutes les tables sont déjà occupées. Katia lui propose la moitié de sa table car à cause de son travail à Pétrole Océan elle ne peut venir à l'Académie que le soir. Katia ne tarde pas à apprendre le nom du jeune homme au regard perdu : Volodia Grunberg. Il se fait en effet remarquer en s'attirant les foudres du maître parce qu'il n'a ni gomme ni crayon et qu'il ne s'en sort pas très bien avec son travail de copie.

L'étudiant Kaplan, attiré par la belle Katia, la raccompagne tous les jours après les cours. Manque de chance pour Kaplan, Volodia ne tarde pas à se joindre à eux car ils sont tous du même quartier. Dans le tramway Volodia fait le pitre et se vante de son droit à voyager gratuitement comme tous ceux qui ont été appelés sous les drapeaux par l'Armée Rouge. Jaloux, Kaplan tente d'évincer Volodia en récitant des vers, en apportant des livres à Katia, en lui parlant art et littérature. Kaplan use aussi de sa belle voix de ténor et tout l'atelier retentit d'airs d'opéra. Un jour Kaplan est pris d'un malaise sans doute à cause du froid glacial qui règne dans l'atelier, privé de chauffage. Les étudiants allongent Kaplan sur le divan de Fomine et Katia retire sa jaquette de fourrure « Chougaï» pour couvrir le malheureux, un geste qui lui vaut la reconnaissance éperdue du jeune homme. Le lendemain ce dernier déclare avoir été tellement touché qu'il pleurait en embrassant la jaquette et en la serrant contre sa joue. Kaplan invite Katia chez lui et la présente à toute sa famille. Ce manège exaspère une étudiante de l'atelier, Nadia Guinzbourg, qui reproche vivement à Katia sa conduite inconséquente. «Je t'ai pardonné Miklachersky mais maintenant c'est tantôt Kaplan, tantôt Grunberg. Ce venu, vu, vaincu n'est que de la coquetterie...». Katia lui rétorque que ses sentiments envers Volodia Grunberg sont très sérieux.

C'est à cette époque que la Pétrole Océan ferme ses portes. Katia se met aussitôt à la recherche d'un nouvel emploi et ne tarde pas à trouver une place de vendeuse de journaux et de livres à la cantine de l'usine Poutilovsky. Sa table avec les livres à vendre se trouve à l'entrée de l'usine dans une baraque glaciale. Le travail est mal payé et elle doit utiliser sa carte de rationnement pour pouvoir déjeuner. Grâce à ses relations, son amie Ekaterina Grave a réussi à trouver une chambre dans l'immeuble de l'ambassade de Suède - autrefois la demeure du prince Youssoupov. Elle propose à Katia d'emménager avec elle. Katia accepte d'autant plus volontiers que l'Académie n'est qu'à deux pas de l'ambassade. Les deux jeunes filles partagent une chambre en haut de l'escalier d'honneur dans la partie restaurée du palais bien meublé et bien chauffé. Les jeunes filles profitent aussi de la cuisine de l'ambassade qui leur paraît délicieuse même s'il s'agit surtout de conserves. Elles mangent dans la vaisselle en argent qui appartenait aux Youssoupov. En ville les tramways ne circulent plus et même l'électricité est rationnée. Souvent l'éclairage ne fonctionne que pour permettre les perquisitions. Si son ordinaire s'améliore, Katia continue à travailler à l'usine. Elle doit passer prendre les journaux à vendre dès six heures du matin. Le soir elle se rend à l'Académie où elle retrouve Volodia. En décembre ils échangent des photos. Derrière la photo offerte par Katia, elle a recopié des vers qui ne laissent aucun doute sur la sincérité de ses sentiments.

A l'Académie Fomine est très satisfait du travail de Katia. Au début de l'année 1920 il reçoit une commande importante de l'Académie des Sciences : la rénovation de la décoration intérieure de tout le bâtiment à l'occasion de son centenaire. Le nombre d'étudiants des Beaux-Arts ayant beaucoup diminué depuis le début de l'année, tous sont recrutés sur ce projet. Ils travaillent souvent toute la nuit et ne s'arrêtent qu'au moment où se tiennent les séances de l'Académie. Attentionné Fomine apporte des tartines le soir et organise un petit déjeuner chez le concierge de l'Académie. Le maître félicite sans cesse Katia pour son habileté et son courage et la paie deux fois plus que les autres en déclarant que c'est elle qui a exécuté la partie la plus difficile. La sollicitude de Fomine alerte la jeune femme. Les yeux huileux, Fomine la pousse à quitter son travail à l'usine ; il est prêt à lui procurer une chambre aux Beaux-Arts pour lui faciliter son travail à l'atelier le soir. Katia refuse net. Alors Fomine lui parle de Volodia en disant. « C'est un homme qu'il vous faut, Volodia n'est qu'un enfant » . Katia n'a d'autre solution que d'éviter Fomine et se voit obligée de renoncer à certains projets.

A cette époque son amie et elle sont mises à la porte de l'ambassade. Katia est presque soulagée de quitter ce lieu hanté par l'esprit de Raspoutine. La nuit on entend des gémissements lugubres. En outre le bruit courait que l'or des Youssoupov était caché quelque part dans l'épaisseur des murs et les habitants du palais n'avaient de cesse de taper sur les murs dans l'espoir de trouver le magot. Elle retourne vivre chez ses parents. Avant les fêtes de Pâques, sa mère et sa sœur Vera décident de repartir à la campagne à Penza. Bijoux et fourrures, qui avaient déjà été mis en gage puis récupérés, sont vendus. Pour éviter d'être considéré comme déserteur, Pétia son frère est obligé de partir pour le service militaire. Katia vit désormais seule avec son père. Son père se rend régulièrement au marché pour vendre leurs vêtements. L'appartement se vide à une vitesse inouïe. La situation de Katia change une fois de plus lorsqu'elle apprend qu'un architecte embauche pour des travaux de mesure au Palais de Pavlosk. Katia est acceptée aussitôt et quelques jours plus tard elle se rend à Pavlosk. Avec six autres jeunes filles, elles est logée sur place dans l'entresol du palais. Katia remarque que ses amies sont aussi mal habillées qu'elle. Elles ne reçoivent pour toute nourriture que de la soupe d'ortie et marchent parfois de heures pour se procurer une soupe plus consistante. Heureusement le printemps est radieux et Katia reçoit de temps en temps la visite de Volodia : tous deux se promènent dans le magnifique parc du Palais.

Quelques temps après, Katia apprend l'arrestation de Volodia. Aussitôt elle se rend là où il fait son service dans l'Armée Rouge mais elle n'obtient pas le moindre renseignement. Elle s'apprête à rentrer à Pavlosk quand elle aperçoit enfin Volodia lui-même sous bonne escorte. Katia décide de suivre le petit groupe. Volodia est poussé dans un tram. Qu'à cela ne tienne, elle monte elle aussi dans le tram. Volodia réussit à lui souffler le lieu où il est emmené : Ozerski. Katia continue à suivre le petit groupe jusqu'à une datcha réquisitionnée sur laquelle figure un grand panneau indiquant : Tribunal révolutionnaire et militaire. Katia réussit à être reçue par le juge d'instruction en se faisant passer pour la cousine de Volodia et demande à le voir. Le juge lui accorde une entrevue avec Volodia le lendemain. Katia apprend le motif de son arrestation : on lui reproche d'avoir chanté des couplets anti-soviétiques dans un théâtre. On l'accuse aussi de sabotage. Le lendemain, malgré la fatigue et la faim Katia se rend à pied à la Cathédrale de Kazan comme elle s'était juré de le faire. Et là , comme elle le dit dans son journal, elle prie comme elle n'a jamais prié de sa vie devant l'icône de la Mère de Dieu. Elle marche ensuite jusqu'à la Gare de Finlande pour prendre le train d'Ozerski. Katia s'efforce de redonner courage à Volodia en lui expliquant toutes les démarches entreprises pour obtenir sa libération. Fomine, entre autres, a envoyé une demande au nom de l'Académie. L'oncle de Volodia a pris contact avec un matelot communiste qui a accepté de se rendre chez le juge d'instruction pour se porter garant de Volodia. La veille du jugement, Katia conduit le matelot en question sur le lieu de détention de Volodia, afin qu'il puisse voir à quoi ressemble Volodia par la fenêtre de la cellule et qu"il soit en mesure de témoigner ensuite devant le juge. Volodia est remis en liberté sous caution pendant un mois jusqu'à ce qu'à une nouvelle session du tribunal. Par la suite les jeunes gens apprendront la mort du brave matelot, fusillé pour s'être marié à l'Eglise.

Volodia est de nouveau arrêté. Katia assiste à son procès. Défiguré par un furoncle sur le front, amaigri par le scorbut, il fait peine à voir. Incapable d'écouter l'interrogatoire, Katia s'éloigne. Lorsqu'elle revient elle entend retentir la sentence du juge : « Condamné à la peine capitale. » Désespérée la jeune fille laisse tomber sa tête contre le mur tout en se bouchant les oreilles. Lorsqu'elle retrouve enfin ses esprits, un silence de mort règne dans la salle. Puis elle entend de nouveau la voix du juge : « Vu le repentir sincère de l'accusé, la peine de mort est commuée en travaux forcés à perpétuité. » Sans doute le juge cherchait-il à impressionner le public. Déjà Katia réfléchit à toute vitesse au moyen d'obtenir une réduction de peine. Mais une fois de plus ses réflexions sont interrompues par une nouvelle déclaration du juge : « Mais vu l'état de santé de l'accusé le châtiment est supprimé. » Le soulagement est immense. Volodia est relâché aussitôt, et, à cause d'un nouveau décret concernant les étudiants, il est aussi libéré de ses obligations militaires.

Katia décide de reprendre son travail au Palais de Pavlosk. Le bruit court que les troupes de l'armée blanche de Youdenitch approchent et s'apprêtent à libérer la ville. Volodia raccompagne Katia par le train. Effectivement, durant le trajet des bruits de canonnade leurs parviennent causant la panique parmi les passagers. Katia descend malgré tout à la gare de Pavlosk. A l'instant où elle sort de la gare, une terrible explosion se produit juste devant elle. Aussitôt elle fait demi-tour et court vers le train où se trouve encore Volodia. Trop tard ! Il ne lui reste plus qu'à prendre ses jambes à son cou. Des obus éclatent tout autour d'elle mais elle s'en sort indemne. Le soir les troupes de l'armée blanche entrent dans la ville et Pavlosk est prise sans coup férir. La population embrasse les soldats et on parle de la prise prochaine de Petrograd. Les soldats et officiers, installés dans la maison du directeur du palais, mangent du lard et fument des cigarettes anglaises sous les yeux écarquillés de Katia et de ses amis. Certains jeunes sont décidés à suivre l'armée blanche. Katia est perplexe, car son père et son fiancé sont à Petrograd. Il lui semble que l'armée blanche n'est constituée que d'une poignée d'hommes.

Finalement Katia rentre à Petrograd où elle retrouve son père et Volodia sains et saufs. Ils n'ont souffert ni des barricades ni du siège de la ville. Ils jurent de ne plus jamais se séparer. Katia quitte officiellement son travail à Pavlosk et présente une requête auprès du Comité du Chemin de Fer où travaille son amie Ekaterina. On lui confie l'organisation de la protection des monuments. Katia habite chez son amie mais passe tous les jours chez son père, qui a attrapé une pleurésie, pour lui préparer ses repas. Toutes les conduites d'eau ayant éclaté, il dort dans la cuisine qu'il chauffe en brûlant le mobilier qu'il lui reste.

L'hiver 1919-1920 s'annonce très rude à Petrograd à cause du froid et de la famine. Des communistes se sont installés chez les Grave où habite Katia. Ils se comportent correctement. Katia dort à l'office. A la Gelezcom, place du théatre Alexandrinsky où travaillent désormais les jeunes filles, il n'y a pas de chauffage. Un matin elles trouvent les bureaux complètement inondés. Tous les livres gisent dans l'eau et elles ne peuvent plus travailler. La collation de midi pour les employés consiste en un verre d'eau bouillante. Les employés commencent par se chauffer les mains en entourant le verre qu'ils boivent ensuite à petites gorgées. Tous les deux jours Katia fait la queue pour obtenir une ration d'un quart de livre de pain. De retour à la maison vers 5 heures les deux amies passent la soirée dans l'obscurité assises sur le petit canapé de la salle à manger. Un jour Ekaterina à bout de nerf déplace le lourd buffet en acajou qu'elle pousse de toutes ses forces dans l'escalier. Le meuble dévale les marches et il n'y a plus qu'à ramasser les morceaux. Au moins pourront-elles se chauffer pendant quelques jours. Pour s'éclairer elles versent un peu d'huile dans un verre avec une petite mèche. Mais elles ne s'en servent que pour leur toilette. Comme d'habitude l'électricité n'est rétablie que pour les perquisitions qui ont souvent lieu très tard dans la nuit. Un soir Volodia les invite à venir dîner. Sa Kacha de gruau d'avoine - sans sucre, ni beurre - remporte un succès fou !

Volodia réussit lui aussi à se faire embaucher à la Gelezcom en se faisant passer pour un spécialiste des affaires forestières. Il travaille à la même table que Katia mais à cause d'une loi sur la défense des protections ils font semblant de ne pas se connaître et quittent leur service séparément. De temps en temps leur administration parvient à leur procurer des denrées rares : du chou, des petits bonbons, parfois un peu de pétrole.

Son père ne pouvant plus rester seul, Katia l'installe avec elle chez les Grave. Malade à cause du froid et à cause de la saleté de sa robe de chambre doublée de mouton qu'il garde sur lui nuit et jour, il est finalement hospitalisé. Katia en profite pour désinfecter la chambre, laver les draps et brûler tous ses vieux vêtements. Volodia réussit à lui procurer un costume neuf.

A Noël 1919, Katia épouse Volodia au commissariat Zaks. Sur la carte de rationnement de Volodia figure désormais le tampon « marié » qui lui donne droit à une double ration. Cependant sur le lieu de travail ils continuent à se comporter comme deux parfaits étrangers car il est interdit aux époux de travailler au même endroit. Le froid restera insupportable jusqu'en mars.

Katia et Volodia n'habitent pas ensemble car la cérémonie religieuse n'a pas encore eu lieu. Volodia décide de ne pas attendre le retour de sa mère pour faire les préparatifs du mariage. Katia est nerveuse car ni son père, ni son frère Petia, n'approuvent leurs projets. Enfin ils parviennent à réunir à grand peine la somme nécessaire pour la cérémonie à l'église et pour le déjeuner en vendant notamment tous les bijoux que Katia a reçus de sa mère. Le 25 avril 1920, le mariage religieux est célébré par le Père Joltovsky, l'Archiprêtre du clergé militaire et naval.

Le 6 Janvier 1921, la veille du Noël orthodoxe, elle accouche d'une petite fille. Ils décident de l'appeler Irina comme l'arrière grand-mère maternelle de Katia. Au moment d'enregistrer son nom, l'officier d'état civil leur dit qu'il s'agit vraiment d'un prénom vraiment très populaire en ce moment. Katia ne veut pas que sa fille s'appelle comme une communiste, et elle et Volodia décident au dernier moment de l'appeler Marianne, un nom étranger peu susceptible d'être choisi par d'autres parents...

A l'automne 1921, grâce à de faux papiers qu'elle et Volodia ont eux même dessinés, toute la famille émigre sur le paquebot Cargo II avec des prisonniers autrichiens. La famille s'installe d'abord à Berlin, puis déménage à Paris en 1923. Ils s'installent dans un grand appartement de la rue Boucicaut avec d'autres membres de la famille. Grâce à son frère Genia, qui évolue dans le monde de la danse, Volodia réalise les graphismes pour les programmes de ballet et pour un magazine consacré à la danse.

Le 6 Août 1931 nait à Neuilly sur Seine son fils baptisé Youlik en souvenir de son illustre grand-père paternel.

Lorsqu'en 1933 Genia décide de partir à Nice pour y tourner « les Misérables », il persuade son jeune frère de le suivre avec femme et enfants, lui promettant un emploi de figurant dans le film. Volodia n'a rien à perdre et espère plus de réussite à Nice. Il y retrouve des cousins, Kotik et Bobik, Constantin et Boris. Ce dernier était président de la Société des Gens de Lettres et a écrit un livre sur Tourgueniev. Katia devient habilleuse pour des tournages, un travail rémunéré au pourboire ; elle travaillera notamment pour une production franco-allemande avec Magda Schneider et Edwige Feuillère. Katia se rappellera toujours avec gratitude la générosité de madame Schneider, la mère de Romy, et en voulut à Edwige Feuillère qui, malgré sa promesse, oublia de la rétribuer pour ses services. La famille reste à Nice deux ans, puis retourne à Paris.