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igor constantinovitch albrecht von fosca

Igor Fosca est un danseur, chorégraphe et professeur de danse. Son maître mot était "Tout est dans le détail !". Bien qu’il n’ait jamais mis les pieds dans son pays, Igor était russe, pur produit d’une Russie d’avant la révolution. Il attendra 1978 pour être naturalisé français et cesser d’être un russe de nulle part.

Igor voit le jour; dans un hôpital de la rive asiatique d'Istanbul où ses parents ont fuis la révolution bolchévique (voir la biographie de sa mère Bianca Bennardi Albrecht sur ce site). La famille Albrecht, bloquée en Turquie n’a plus rien pour vivre, sinon le talent et l’énergie de Bianca qui crée une troupe de ballet. Ce Théâtre des Petits Champs donne des représentations qui permettent à un certain nombre de ces talents russes en exil de survivre. On y retrouve un jeune homme d’une vingtaine d’années, Boris Kniassef, qui jouera plus tard un rôle très important pour la carrière de Igor. En 1923, Igor arrive, pour la première fois, en France. En 1927, Igor vit en Allemagne, il va à l’école et habite chez sa grand-mère. Mais celle-ci décède rapidement, le petit-fils repart. Il gardera de ce séjour une grande familiarité avec la langue allemande. Avec le russe qu’il parla et lut toute sa vie, le français qu’il fréquenta très tôt, l’allemand était l’une des langues que pratiquait le mieux ce polyglotte à l’état sauvage. Il prétendait d’ailleurs regretter de parler mal plusieurs langues plutôt que bien une seule. En 1928, Igor rejoint ses parents à Londres et en 1930, la famille Albrecht s’installe définitivement à Paris. La communauté russe y est très nombreuse, organisée, et a reconstitué une manière de société russe.

Fils de militaire, le jeune Igor entre à l’école des cadets du Tsar. Installée à Villiers-le-Bel, puis à Versailles pour les plus grands, cette institution militaire formait les cadres nécessaires à l’armée blanche pour préparer la reconquête. Car cette société russe, issue de l’immigration, n’envisage sa présence en France que de façon transitoire. Elle ne cherche pas à s’intégrer puisqu’elle doit repartir le plus rapidement possible. Baignant dans une atmosphère entièrement tournée vers le pays d’origine, il gardera toute sa vie, les valises sorties. La destinée de danseur n’expliquant pas, à elle seule, ce refus de trop s’installer. Et toujours, dès que les logements ont compté suffisamment de chambres pour cela, l’une d’elles fût dévolue aux valises et aux paquets. Paradoxalement, Igor ne voulut jamais, visiter son pays, même quand il en eut la possibilité. Dès sa naturalisation, le voyage aurait été possible, il le refusa. Dans ce milieu assez particulier, Igor fait de très sérieuses études secondaires et se destine à la chimie, en 1938, il passe la première partie de son baccalauréat. En 1939, il prépare la seconde partie mais il échoue à la première cession. Il ne passera pas la seconde.

En remontant la rue de Clichy, par hasard, il rencontre Boris Kniassef qui l’interpelle, lui demande des nouvelles de ses parents. Celui que l’on n’appelle pas encore «le professeur des étoiles » jauge le jeune homme et lui demande de passer le voir studio Wacker. Igor pratique alors le basket et c’est avec sa tenue de sport qu’il se rend à l’invitation. Kniasef a ouvert son académie de danse en 1937 et il y a là beaucoup de monde : Algaroff, Lafon, Jeanmaire et Chauviré. Igor serait alors, selon ses dires, « tombé amoureux du mouvement de Chauviré » et cette fascination motive l’impétrant… Celui- ci est beau, un visage très fin aux pommettes hautes avec ce regard en amande, un peu mongol, peut-être de lointaines traces de l’ascendance hongroise de Bianca Fosca. Le jeune homme est aussi doté d’un saut exceptionnel qui impressionne immédiatement. Il doit aussi avoir un certain don puisqu’il brûle les étapes et de débutant passe rapidement dans la catégorie des danseurs.

Dès 1940, il participe à des spectacles sur les plus grandes scènes parisiennes, au théâtre Marigny, à la Gaîté Lyrique, au théâtre Pigalle (qui n’avait rien du cabaret un peu douteux d’aujourd’hui). Mais, malgré une vie culturelle qui n’a guère pâti de la guerre, celle-ci menace aussi les artistes. Les jeunes danseurs risquent d’être requis par le STO (service de travail obligatoire). Kniassef crée, en 1941, une compagnie, les Ballets Russes de Paris. Celle-ci engage de jeunes danseurs menacés et part en tournée à Vienne, Berlin, Leipzig. On y retrouve Egorova, Algaroff, Loboff et Igor qui se fait déjà appeler Fosca. Les décors sont de Gontcharova et Larionov, les chorégraphies de Kniasef, bien sur, mais aussi de Gsovsky et de Fokine.

A partir de 1945, débute, pour Igor Fosca une carrière de danseur soliste. Il participe à de très nombreux galas et à la saison du Théâtre de l’Étoile. Il y danse avec Solange Schwarz – à l’époque en rupture avec l’Opéra – et devient l’un de ses partenaires attitrés. On le voit aussi au Palais de Chaillot, au Théâtre Sarah Bernhardt. Au Théâtre des Champs Élysées, il danse avec Lycette Darsonval, étoile de l’Opéra, des œuvres de Serge Lifar. Dès ses débuts professionnels, Igor Fosca s’est donc mêlé aux artistes de l’Opéra de Paris. Bien qu’il n’ait jamais appartenu à l’auguste maison, sa carrière va y être intimement lié, par partenaires, chorégraphes et élèves interposés.

De 1946 à 1949 Igor Fosca connaît la vie des étoiles de la danse. Il est le partenaire recherché des plus grandes interprètes de son temps et tient l’affiche au côté de Schwarz, Darsonval, Chauviré, Vyroubova, Renée Jeanmaire. Il fait des tournées, en Allemagne, en Belgique et Afrique du nord, assure les saisons du théâtre San Carlos de Lisbonne (avec Solange Schwarz, il y interprète Giselle mais aussi des chorégraphies de Béjart et de Kniasef) ou du Prince’s Theater de Londres. En Allemagne il tourne un film avec Janine Charrat. Il fréquente aussi ce milieu intellectuel russe dont on imagine mal aujourd’hui la richesse.

C’est au cours de la saison 1948-1949 qu’Igor Fosca participe à ses premières tournées JMF. Autour du thème « Danse et musique» il sillonne alors l’Afrique du Nord. C’est la première étape d’une relation de grande fidélité qui durera jusqu’en 1962.

Il est aussi danseur étoile des Ballets de Vichy. A l’époque la saison culturelle de la fameuse station thermale rivalise avec celle des plus grandes villes et le ballet y donne Les deux pigeons, Giselle, le Lac des Cygnes, Sylvia ou Shéhérazade. Igor y tient les premiers rôles. Dans le corps de ballet, il y a un jeune homme nommé Maurice Béjart. Jean Laurent, fameux critique, a décidé d’en promouvoir le talent. Il demande alors à Igor Fosca s’il a remarqué « ce jeune homme qui reste toujours à travailler dans le studio après le cours», et il convainc le danseur d’interpréter l’une des premières chorégraphies de ce jeune artiste. Ce qu’il fera avec Solange Schwarz.

Insensiblement, à partir de 1948, Igor, bien que jeune danseur, débute comme professeur salle Pleyel. Il y remplace son maître Boris Kniassef quand celui-ci ne peut pas assurer les cours. Les principes pédagogiques du grand « prof» vont trouver un disciple. On trouve chez Igor cette fidélité à une certaine idée de la danse où la culture et la compréhension du mou-vement l’emportent sur l’académisme du pas. Si la carrière d’interprète d’Igor ne croisera plus celle de Kniasef, celle de professeur en est la continuité. Dès cette date, Fosca est le disciple qui prolonge une conception de la danse fondée sur l’intelligence du geste plus que sur le rabâchage …

Cette vie d’étoile de la danse connaît une interruption en décembre 1949. En revenant en voiture d’un gala, pratique à laquelle sacrifient toutes les étoiles un peu recherchées, il est victime, avec Lucette Lauvray et son mari, d’un très grave accident. Il reste plongé dans le coma pendant une semaine. Il retravaillera cependant dès le mois de mars suivant. Mais l’accident laissera des séquelles et pendant de longues années, Igor sera victime de très violents maux de tête.

En juin 1950, Fosca est engagé comme danseur étoile au Ballet Champs- Elysées. Yvette Chaviré reconstitue alors une troupe. Elle a sollicité certains artistes pour reprendre le répertoire de la fameuse compagnie. Igor y danse Les Forains (Petit), Aubade (Lifar), Jeu de cartes (Charrat), il reprend le rôle du valet de cœur créé par Youly Algaroff. Dans la Rencontre (Lichine), il remporte un triomphe en reprenant le rôle créé par Babilée. Igor restera deux saisons dans la compagnie. Mais on le retrouve aussi au théâtre de la Monnaie de Bruxelles où il danse avec Lycette Darsonval et dans les nuits musicales de Paris où il est le partenaire attitré de Solange Schwarz. Il participe également, par le biais des nombreux galas des étoiles, à des tournées en France et en Italie.

Avec l’année 1952 s’achève l’aventure des Ballets des Champs-Elysées. Pour Igor, c’est le retour à la vie de tournées permanentes. Il repart avec pour les JMF, interprétant les grandes pièces de Lifar (Entre deux Rondes, Suite en Blanc, Le Chevalier et la Damoiselle) dont il s’est fait une spécialité.

Il assure une saison à Genève, interprète les Danses Polvotsiennes de Fokine au Festival de Nervi et à Enghien, pour le très réputé festival de danse, participe à la création du Pelléas et Mélisandre de Jean-Jacques Etchevery.

Parallèlement, il donne des cours et commence à être reconnu comme professeur à part entière. Boris Kniasef part à Lausanne en 1953. Igor prend alors l’entière responsabilité, y compris financière, du fameux studio 111 de Pleyel. A chaque fois qu’il revient de ses nombreuses tournées, il envoie un courrier et les élèves reviennent, jusqu’au prochain départ du professeur. Parfois, Kniasef passe par Paris, il prend alors le cours en main avant de repartir. Cette intermittence est acceptée par tous, on venait suivre un enseignement, travailler une certaine technique. Un art de l’étirement des lignes qui relève d’une école russe «moderniste». C’est ce que l’on venait chercher au studio 111, entre les tournées du maître ou celles de son disciple.

En 1981, le cours quitte Pleyel et s’installe boulevard des Batignolles, dans un atelier d’artiste en duplex, tout en bois, comme une image d’isba, l’ancien studio de Lucienne Lamballe; là, Bianca Fosca que tout le monde appelle Marne regarde les cours depuis la mezzanine, enchaînant quelques pliés. Elle vit dans les deux pièces du dessus. Dans la petite pièce du bas, certains élèves de passage s’installent pour quelques mois. Le sculpteur Jacques Gestalder s’asseoit, se tasse devrait-on dire, dans un coin, fébrile, dessinant à grands traits les élèves qui travaillent, commentant parfois à haute voix, emporté par son dessin. Nathalie Quernet, qui n’est pas encore entrée à l’Opéra, vient travailler, envoyée par son professeur Francis Malovik.

Cette période ne dure pas. En 1987, l’immeuble est vendu et les locataires sont priés de trouver studio ailleurs. Ce sera la Villa Wagram-Saint-Honoré, tout près de la salle Pleyel, comme pour clore la boucle.

Mais le rythme des cours va très largement baisser. Igor est fatigué et souffre de problèmes respiratoires sérieux. Comme nombre de danseurs, il a très longtemps et beaucoup fumé, cessant en 1975, peu après la mort de Boris Kniasef. Igor prétendait que la mort de son maître, d’un cancer du poumon, n’avait eu aucune influence sur sa décision … Reste que la respiration se ressent des cigarettes passées.

Le gros pépin arrive en décembre 89, Igor est hospitalisé jusqu’à la mi-janvier 1990. Il reprend les cours de la villa Wagram. Une bouffée d’aérosol avant la classe, un peu plus souvent assis, mais la même passion et la même magie. Le mal est cependant bien ancré. Rattrapée par les ans qui semblaient l’avoir oubliée, Mame, meurt le 4 décembre 1991. Elle allait avoir 96 ans. Toujours, les hivers sont difficiles. Celui de 92 s’annonce mal, Igor est de nouveau hospitalisé en décembre. Il nous quitte le 13 janvier 1993.

Source : site https://igorfoscadanse.wordpress.com/