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Archimandrite Serge (Schévitch)

Cyrille Gueorguievitch Schevitch (le futur Père Serge) est le fils de Georges Ivanovitch Schévitch (1871-1966) qui était officier supérieur dans l’armée russe. Il était issu d’une famille noble de la République de Venise qui possédait un fief en Herzégovine. Son quadrisaïeul, Ivan Georgievitch Schévitch, faisait partie des Serbes qui, en 1752, avaient suivi Ivan Samoilovitch Horvath pour coloniser la « Nouvelle Serbie », dans l’actuelle région d’Odessa ; il entra au service de la Russie avec le rang de Lieutenant-Colonel et prit sa retraîte en 1764 comme Major General. Son trisaëul, Georges Ivanovich Schévitch (1735-1794), acquit également, en 1793, le rang de major-général. Son arrière-grand-père, Ivan Gueorguievitch (Egorievitch) Schévitch, né en 1754, acquit le même grade en 1807, se vit confier le commandement des Hussards de la Garde du tsar, se distingua à la bataille de Borodino (1812) et, après avoir été nommé Lieutenant-général à la tête d’un régiment de cavalerie, fut tué le 4 octobre 1813 à la bataille Leipzig. Son grand-père, Egor Ivanovitch Schévitch (1808-1849) avait été nommé, en 1842, commandant des Hussards de la Garde impériale, avant de mourir prématurément. Son père, Ivan Egorovitch Chévitch (1838-1912), avait été quant à lui gouverneur de plusieurs régions avant de devenir membre du Conseil impérial, puis membre du Conseil privé, et enfin membre du Conseil d’État de l’empire russe. Sa mère Marie Cyrillovna von Struve (1878-1969), était la fille de Cyrille Vassilievitch von Struve [encore dénommé Karl von Struve] (1835-1907), qui exerçait les fonctions d’ambassadeur de Russie aux Pays-Bas lors de la naissance de Cyrille, et avait été ambassadeur de Russie au Japon et aux États-Unis (1882-1892) , et la petite-fille du célèbre astronome Friedrich Georg Wilhelm von Struve (1793-1864), qui fut le fondateur et le directeur, de 1839 à 1862, de l’observatoire de Saint-Péterbourg (situé à Pulkovo), et est aujourd’hui considéré comme « le père de l’astronomie moderne » . Marie Cyrillovna, avait un frère – Boris Cyrillovitch, attaché militaire à Washington – et trois soeurs : Vera Cyrillovna (1876-1949), épouse du prince Pierre N. Mestchersky, fondatrice de la maison de retraite russe de Sainte-Geneviève-des-Bois ; Elena Cyrillovna, mariée en premières noces au baron Hendrik Steengracht von Moyland, un descendant de Charlemagne, et en secondes noces au général Orlov ; Olga Cyrillovna, épouse du baron Peter Arnold Hermann Gottlieb Mumm von Schwarzenstein, fondateur des champagnes Mumm.

De 1911 à 1913, Cyrille séjourna à Willmanstrand, en Finlande où son père, alors colonel, avait été placé à la tête du régiment des Dragons. Son père ayant été nommé, en 1913, général des Hussards de la Garde impériale et, en 1915, « membre de la suite de Sa Majesté », Cyrille vint habiter avec sa famille à Tsarskoïe Selo où se trouvait le palais impérial. En 1915-1916, pendant la guerre, la famille fit plusieurs séjours à Kislovodsk, une ville d’eau du Caucase puis, à la fin de l’année 1916, alla habiter quelque temps à Tiflis, où le général Schévitch était en garnison. Lorsque survint la Révolution en 1917, la famille Schévitch se vit confisquer tous ses biens. Elle se réfugia, comme de nombreuses familles nobles de Petrograd, à Kislovodsk, où elle avait déjà fait de nombreux séjours. Malgré l’alternance de la présence des « Blancs » et des « Rouges » dans la ville, elle put y rester jusqu’en 1920.

Encore adolescent, Cyrille s’était engagé, en 1918, aux côtés de jeunes de son âge dans le groupe de l’Union panrusse de la jeunesse monarchiste fondée par le comte Michel Grabbe. Son père, Georges Schévitch, combattit dans l’Armée blanche dirigée par le général Dénikine puis par le général Wrangel, mais en 1920, la famille fut contrainte, comme beaucoup d’autres, de prendre le chemin de l’exil hors de la Russie, via Odessa et Constantinople.

Après un court séjour en Suisse (où Cyrille eut cependant le temps de passer un examen du niveau du baccalauréat), la famille habita deux ans à Berlin, puis, en 1923, vint s’installer à Paris, où Cyrille trouva du travail à la banque Morgan, place Vendôme, où il était en charge des comptes des têtes couronnées. À la fin de l’année 1924, Cyrille s’engagea dans le mouvement des Jeunes Russes (Mladoross) qui militait pour une restauration, en Russie, d’une monarchie démocratique. À partir de 1933, Cyrille fut le trésorier du mouvement et, jusqu’à l’extinction de celui-ci en 1939, fit partie des membres de son Conseil directeur, mais lors des dernières années prit ses distances avec son fondateur, Alexandre Kasem-Beg, en raison du rapprochement opéré par celui-ci avec le mouvement fasciste. Dans le rapport qu’il fournit, en 1944, au War Department des État-Unis (où il émigra), Kasem-Beg note : "Chévitch représentait la pensée monarchiste et, en même temps, la branche la plus anti-fasciste du mouvement Mladoross". Le mouvement fonda deux revues (Mladoross et Opovestchenie) dans lesquelles Cyrille écrivit un certain nombre d’articles concernant, pour la plupart, la situation de l’Église en Russie, et affirmant en particulier la nécessité pour celle-ci, comme condition de sa survie, d’être totalement désengagée politiquement.

Sur le plan religieux, à la fin des années vingt, il participa activement aux réunions de la Fraternité Saint Alban et Saint Serge qui réunissait, en Grande-Bretagne, des anglicans et des orthodoxes pour des échanges théologiques. Pendant cette même période, il suivit des cours d’histoire de l’Église, de patrologie et de théologie à l’Université d’Oxford. À cette époque aussi il rédigea pour la revue Vestnik (Le Messager) de l'ACER un certain nombre d’articles relatifs à la situation de l’Église en Russie. Il collabora aussi à un groupe pour l’Étude de la religion en Russie, dont faisaient partie Paul B. Anderson, Ivan A. Lagovsky, le père Mayeux du Russicum romain et Michel de Enden.

Lorsque, à la fin de l’année 1930, le métropolite Euloge quitta le patriarcat de Moscou et rejoignit celui de Constantinople, Cyrille fit partie de la minorité de prêtres et de fidèles qui décidèrent de rester fidèles à l’Église-mère. Avec l’évêque Benjamin (Fedtchenkov), les hiéromoines Athanase (Netchaiev), Stéphane (Svetosarov), Seraphim (Rodionov), Théodore (Tekoutchev), les prêtres Stéphane (Stefanovsky), Michel (Belsky), Dimitri (Sobolev), Vsevolod (Palachkovsky) et un certain nombre de laïcs dont Nicolas Berdiaev, Vladimir Lossky, André Bloom (le futur métropolite Antoine de Souroje), Vladimir Iljine, Michel Zimine, Alexis Stavrovsky, Nicolas Poltoratsky, Léonide Ouspensky, Pierre, Evgraph (le futur évêque Jean) et Maxime Kovalevsky, Georges (le futur Père Grégoire) Kroug et Théodore Pianov, il participa à la fondation, en mars 1931, de la paroisse et du nouveau siège de l’Exarchat du patriarcat de Moscou, rue Pétel, dans le XVe arrondissement de Paris. Il continua également à collaborer à la revue "Le Messager" de l'ACER.

Durant les années trente, Cyrille fréquenta assidûment le groupe de jeunes intellectuels que le philosophe Nicolas Berdiaev réunissait chaque semaine dans sa maison de Clamart et parmi lesquels on comptait les théologiens Vladimir Lossky et Evgraph Kovalevsky, les philosophes Gabriel Marcel, Emmanuel Mounier, Maurice de Gandillac et Jacques Maritain, l’orientaliste Oliver Lacombe, l’islamologue Louis Massignon, le critique littéraire Charles du Bos... Chaque réunion commençait par un exposé sur un sujet théologique ou philosophique et se poursuivait par une discussion. Il fréquenta également les réunions de même type organisées par Jacques Maritain avec qui il fut lié, jusqu’à la mort de ce dernier, par une profonde amitié. Dans ces cercles d’intellectuels, il était particulièrement apprécié comme spécialiste de l’œuvre de Dostoïevski.

Parallèlement, Cyrille était de plus en plus attiré par la vie spirituelle. Son père spirituel en cette période était le Père Athanase Netchaiev, qui fut le premier recteur de la paroisse des Trois-Saints-Hiérarques, rue Pétel ; c’était un moine du monastère de Valaam, que le métropolite Antoine (Bloom) – dont il était également le père spirituel à la même époque – décrit comme « un homme remarquable, d’une absolue simplicité, qui vivait de rien » et partageait avec de plus pauvres le peu qu’il avait. Menant de plus en plus une vie de prière et cherchant à mettre en application les enseignements des Pères dont il se nourrissait quotidiennement, Cyrille se sentit attiré par la vie monastique. Étant seul à pourvoir aux besoins de sa famille, il ne peut cependant s’y engager immédiatement. Il menait cependant autant que possible la vie d’un moine « dans la ville ». En 1938, il confia son projet de devenir moine au Starets (aujourd’hui Saint) Silouane. Ce dernier lui donna sa bénédiction dans la dernière lettre qu’il écrivit.

En tant qu’ancien membre dirigeant du mouvement des Jeunes Russes et avec beaucoup de ses compatriotes jugés suspects par le gouvernement français à la suite du Pacte germano-soviétique et dans une atmosphère de « xénophobie générale », Cyrille fut arrêté à la fin du mois de mai de l’année 1940 et interné le 31 au camp de concentration du Vernet. Libéré quelque temps après, il fut de nouveau arrêté, le 22 juin 1941, par les autorités allemandes cette fois, le jour même de l’invasion du territoire soviétique par la Wehrmacht et le jour même où le patriarche Serge avait prononcé un discours demandant aux orthodoxes russes du monde entier de contribuer à la défense de leur patrie. Cyrille fut alors, avec plusieurs centaines d’autres émigrés d’origine russe, interné au camp de Compiègne. Tout au long de son séjour à Vernet, Cyril se consacrait à la lecture de la Bible et à la réflexion sur le contenu des écritures; cependant, il se plongeait de plus en plus dans la pratique de la prière de Jésus, suivant l'exemple et les conseils d'un de ses compagnons d'incarcération, le père Séraphin, dont le cœur brûlait par la prière incessante. Les mois de son incarcération à Compiègne passèrent également dans la prière. Il put en sortir et décida alors de réaliser sans plus tarder son projet de devenir moine. Il prononça ses vœux le 18 novembre 1941 sous le patronage de saint Serge de Valaam. Il vécut alors auprès de l’archimandrite Stéphane (Svetosarov), recteur de l’église de la Sainte-Trinité à Vanves (Hauts-de-Seine) depuis sa fondation en 1933, qui l’initia à la vie monastique selon les traditions spirituelles du monastère de Valaam où il avait vécu. Le Père Serge s’impliqua largement dans la vie de la paroisse, s’occupant notamment d’aider les fidèles en difficulté.

Ordonné diacre le 11 et prêtre le 12 septembre 1945 en la cathédrale Alexandre-Nevsky, rue Daru, par Mgr Vladimir (Tikhonitsky), avec la bénédiction de Mgr Nicolas de Kroutitsky, le Père Serge fut désigné comme recteur de l’église de la Sainte-Trinité à Vanves pour succéder au Père Stéphane (qui venait d’être nommé recteur de l’église des Trois-Saints-Hiérarques, rue Pétel). À cette charge vint très peu de temps après s’ajouter celle de responsable du skit du Saint-Esprit au Mesnil-Saint-Denis près de Trappes (Yvelines) dont le fondateur, le Père André Sergueienko, venait de regagner la Russie. Lorsque, en 1946, les juridictions russes en Europe occidentale, qui s’étaient pour un temps réunies, se séparèrent à nouveau, le Père Serge, comme ses amis Nicolas Berdiaev, Vladimir Lossky, Léonide Ouspensky et Grégoire Kroug, resta dans le patriarcat de Moscou, indépendamment de toute considération politique mais par pure fidélité à l’Église-mère et par respect pour ceux qui étaient, au péril de leur vie, restés en Russie pour y maintenir, coûte que coûte, l’existence de l’Église. En 1949, il fut élevé à la dignité d’higoumène, et le 20 janvier 1954, par décret du patriarche Alexis Ier, à celle d’archimandrite.

Très attaché à la Russie, le Père Serge avait cependant de l’Église orthodoxe une vision universelle, et sut accueillir sans réserve les moines d’autres nationalités qui vinrent se placer sous sa direction spirituelle et les fidèles d’origine française qui, à la fin des années soixante, vinrent de plus en plus nombreux grandir les rangs des paroissiens de Vanves. Par son amour, son humilité et sa délicatesse, le Père Serge sut toujours maintenir dans sa paroisse une atmosphère d’unité et de fraternité malgré la grande diversité de ses membres. Il accueillait également sans réserve les fidèles d’autres juridictions qui venaient se confesser auprès de lui ou lui demander des conseils spirituels.

À partir du début du Grand Carême de l’année 1985, le Père Serge tomba gravement malade. Ce n’est que quelques mois plus tard qu’il put de nouveau officier en étant soutenu. Au début du mois d’octobre 1986, la maladie le frappa à nouveau, plus gravement que la fois précédente. Il fut hospitalisé à l’hôpital de Courbevoie. On diagnostiqua une importante pleurésie qui nécessita plusieurs mois de soins. Le Père Serge put retourner à Vanves, mais le 3 juin 1987 il fut frappé d’hémiplégie et dut de nouveau être hospitalisé. Une radiographie permit alors de constater qu’un cancer avait atteint plusieurs organes de son corps. Il décéda en paix le 25 juillet.

Personnalité charismatique – caractérisée par son humilité, sa douceur, son amour et sa luminosité –, le Père Serge eut de son vivant un rayonnement international comme confesseur et père spirituel. Le livre que lui a consacré Jean-Claude Larchet, "Le starets Serge", traduit en plusieurs langues, a contribué à étendre sa renommée, et des articles lui sont régulièrement consacrés en France et dans les pays orthodoxes, contenant en particulier des extraits de ses enseignements spirituels. Il est considéré dans plusieurs ouvrages de référence comme l’un des principaux pères spirituels de l’émigration russe au XXe siècle.