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Zinaïda Hippius Merejkovsky

Zinaïda Nicolaïevna Hippius forme avec son mari Dimitri Merejkovsky un couple littéraire original et prolifique qui marque le Siècle d'argent de l'histoire de la littérature russe. Elle est considérée comme une théoricienne du symbolisme russe. Fille de Nicolas Romanovitch Hippius, haut fonctionnaire de la justice russo-allemand et de Anastasie Vassilievna née Stepanoff, elle reçoit une éducation à demeure avec des gouvernantes, déménageant d'une ville à l'autre au gré des nominations de son père. Elle écrit ses premiers vers à l'âge de sept ans et se met à écrire régulièrement à partir de onze ans. Son père meurt de tuberculose en 1881 et la famille (sa veuve, Zinaïda et ses trois sœurs cadettes Anne, Nathalie et Tatiana, ainsi que la mère du défunt et une de ses sœurs non mariée) déménagent à Moscou, où la fillette suit des cours au gymnasium Fischer. Lorsqu'on lui décèle un début de tuberculose, elle part avec sa mère et ses sœurs à Yalta. Elle y découvre l'amour de la littérature et les promenades à cheval. En 1885, sa mère l'envoie à Tiflis chez son frère Alexandre, qui loue pour sa nièce une villa à Borjomi où elle passe des séjours agréables s'adonnant à la poésie, aux soirées dansantes, à la joie de vivre. Son oncle meurt deux ans plus tard et la jeune fille reste dans le Caucase avec sa mère. Elle y fait la connaissance en 1888 de l'écrivain Dimitri Merejkovsky qui venait de faire paraître son premier livre de poésie et qu'elle épouse quelques mois plus tard le 8 janvier 1889 au cours d'une cérémonie religieuse très simple en l'église Saint-Michel Archange. Elle a dix-neuf ans. Le jeune ménage va jouer un rôle déterminant dans l'esthétique du Siècle d'argent. Au début, ils font un pacte: elle écrira en prose et lui en vers. Quelque temps plus tard, elle traduit en Crimée le "Manfred" de Byron mais sans succès et Merejkovsky rompt lui-même le pacte en décidant d'écrire un roman inspiré de la vie de l'empereur romain Julien. Dès lors ils écrivent en prose ou en vers indifféremment. Ils emménagent à Saint-Pétersbourg et Merejkovsky présente à sa femme ses nombreux amis littérateurs en vogue dont Jacob Polonski, Apollon Maïkov, Dimitri Grigorovitch, Alexis Plechtcheïev, Pierre Weinberg, Vladimir Nemirovitch-Dantchenko. Elle fait connaissance avec le jeune poète Nicolas Minsky et la rédaction de la revue littéraire "Le Messager du Nord" à laquelle collaborent Anne Evreinoff, Mikhaïl Albov, Lioubov Gourevitch. Zinaïda Hippius se rapproche également du jeune poète Nikolaï Vilenkine et du critique Akim Volynski. Le "Messager du Nord" est orienté vers les nouveaux mouvements de l'époque, qui vont du positivisme à l'idéalisme. Il accueille les premiers essais de la jeune femme qui assiste à nombre de soirées littéraires, conférences, etc. Elle se lie avec la famille Davydov dont l'épouse édite le mensuel "Le Monde divin", écoute les participants du cercle shakespearien de Spasowicz, devient membre de la Société russe de littérature. Deux poésies sous la signature Z. H. paraissent en 1888 dans le "Messager du Nord", empreintes de mélancolie et du pessimisme de la fin des années 1880, sous l'influence de Sémion Nadson, jeune poète mort en 1887. Zinaïda Hippius et Dimitry Merejkovsky font la connaissance du philosophe Vladimir Solovieff avec lequel ils resteront en contact jusqu'au décès de ce dernier en 1900. De 1901 à 1904 Zinaïda Hippius participe aux réunions philosophiques et littéraires et en organise elle-même. Ses poésies sont publiés dans la revue "La Voie Nouvelle" qui devient la publication officielle de ces réunions. Elle fait ses débuts en prose dans "Le Messager de l'Europe" en 1890 avec "Une vie simple". Suivent dans ces revues et d'autres des nouvelles telles que "Deux cœurs", "À Moscou" (1892), ses romans "Sans talisman", "Les Vainqueurs", "Les Vaguelettes", etc. Plus tard, l'Encyclopédie Brockhaus et Efron y remarque l'influence de John Ruskin, de Nietzsche ou de Maeterlinck. Zinaïda Hippius rassemblera ensuite la prose de ses débuts en deux livres, "Des nouvelles personnes" (Saint-Pétersbourg, 1896) et "Les Miroirs" (Saint-Pétersbourg, 1898).

Le couple Merejkovsky fait un voyage en 1891-1892 en Europe du Sud pour soigner la santé fragile de Zinaïda Hippius. Ils y rencontrent Tchékhov et Souvorine qui les accompagnent un temps, s'arrêtent à Paris chez Plechtcheïev et se reposent à Nice, où ils font la connaissance de Dimitri Philosophoff qui deviendra plus tard leur disciple et « protégé ». Zinaïda Hippius raconte dans ses Mémoires l'impression de bonheur que lui procure alors l'Italie. Suit une intense période de production poétique dont "Les Initiations" avec la célèbre strophe: « Je m'aime comme Dieu ». Dans les années 1899-1901, elle se rapproche du milieu de Serge de Diaghilev qui se regroupe autour de la revue "Le Monde de l'art - Mir Iskousstva" où elle publie ses premiers articles de critique littéraire sous des pseudonymes masculins (Anton Kraïny, Lev Pouchtchine, Camarade Guerman, Roman Arensky, Anton Kircha, Nikita Vetcher, V. Vitovt). Elle prêche l'esthétique du symbolisme et de ses idées philosophiques dont elle jette les bases. Après "Le Monde de l'art", elle devient critique à la revue "La Nouvelle Voie" («Новый путь»), dont elle est en fait la rédactrice, ainsi que dans d'autres revues ou journaux, tels que "La Balance", "La Nouvelle Parole", "L'Instruction", "La Nouvelle Vie", "Les Sommets", "La Pensée russe", etc.

La fusillade du 9 janvier 1905 qui va aboutir à la révolution bouleverse la vie et les activités littéraires de Zinaïda qui jusqu'alors considérait que les questions socio-politiques du moment se trouvaient en dehors de sa sphère d'intérêt. Le couple se met résolument dans l'opposition et voit dans l'autocratie une origine antéchristique. Ils partent en 1906 pour Paris, où ils louent un appartement décidant de respirer un certain air de liberté pendant deux ans et demi. Ils publient des brochures dénonçant le système autocratique russe, écrivent des articles en français dans le même sens, se rapprochent de certains SR en exil, dont Ilya Fondaminski et Boris Savinkov. Zinaïda Hippius « a son jour », c'est-à-dire qu'elle reçoit à jour fixe le samedi. De vieux amis viennent comme Nikolaï Minsky et Constantin Balmont et beaucoup d'autres. Ces années parisiennes sont des années de travail intense pour le couple. Merejkovsky travaille à une œuvre historique, sa femme écrit des articles et des poèmes, tout en envoyant des articles en Russie. Elle fait publier en 1906 à Paris "L'Épée pourpre" et en 1908 à Paris et à Saint-Pétersbourg une pièce dramatique "La Couleur du pavot", dont les héros sont des révolutionnaires russes des différents mouvements qu'elle a pu étudier à Paris. Entre 1910 et 1914, elle publie également dans des quotidiens, comme Le Matin de la Russie, Le Discours, La Parole, etc. Elle rassemble ses meilleurs articles critiques dans un livre intitulé "Journal littéraire", publié en 1908. Dans l'ensemble, Zinaïda Hippius considère d'un point de vue négatif la situation de la culture artistique russe de son époque, qu'elle relie à la crise des fondements de la vie provoquée par l'éloignement des critères religieux et à l'effondrement des idéaux sociétaux du siècle précédent. L'artiste pour elle a vocation de « rechristianiser » la vie. Son idéal spirituel et littéraire se trouve dans l'art et la littérature qui mènent à la prière, à la compréhension de Dieu. Ce concept va contre les écrivains proches de Maxime Gorki et de sa revue "La Connaissance" et en général contre la littérature basée sur les traditions du réalisme classique.

La santé de Zinaïda s'altère ce qui l'oblige à de réguliers et courts séjours en France. Ils achètent en 1911 au cours d'un de ces séjours à Paris un petit appartement au 11 bis rue du Colonel-Bonnet à Passy. Ils redonnent vigueur aux réunions de la Société philosophico-religieuse à partir de 1908 à Saint-Pétersbourg, mais il n'y a presque plus de clerc à y participer et les disputes sont fréquentes. Avec l'écrivain Dimitri Philosophoff, ils forment un ménage à trois qui fait scandale à l'époque et écrivent de nombreux essais. En 1910 la poétesse publie un deuxième livre qui regroupe ses poésies de 1903-1909. À cette époque ses poèmes sont traduits en français et en allemand. Elle publie également en français "Le Tsar et la Révolution" (1909) avec Merejkovsky et Philosophoff qui paraît à Paris et à Saint-Pétersbourg et des articles sur la poésie russe dans le Mercure de France, puis son dernier recueil de récits en prose "Les Fourmis lunaires" (1912), ainsi qu'une trilogie romanesque non achevée "Le Pantin du diable" (tome I) et "Roman le tsarévitch" (tome III) qui reçoivent un mauvais accueil des intellectuels de gauche. À la fin de l'année 1916, les Merejkovsky se reposent dans la ville d'eau caucasienne de Kislovodsk et retournent à Pétrograd en janvier. Comme son mari, Zinaïda accueille avec faveur la chute du régime impérial (la Révolution de février 1917) estimant qu'elle mettrait fin à la guerre et permettrait de réaliser les idées de liberté proclamées par eux dans les œuvres consacrées au Troisième Évangile. Leur nouvel appartement de la rue Serguievskaïa devient le foyer d'intenses discussions politiques, où l'on commente les décisions de la Douma, la révolution de Février 1917. Le Gouvernement provisoire leur est proche et ils reçoivent Kerenski. Cependant leur opinion change.

La révolution d'octobre les a horrifié: ils l'ont perçue comme le règne du «Royaume de l'Antéchrist», le triomphe du «mal surnaturel». Dans son journal, Hippius raconte la faim («il n'y a pas d'émeutes de la faim — les gens tiennent à peine sur leurs pieds, vous ne pouvez pas vous rebeller...» — 23 février), les atrocités de la Tchéka («...à Kiev, des 1200 officiers ont été tués, on coupe les jambes des cadavres, pour récupérer les bottes. À Rostov, ils ont tué des enfants, des cadets, pensant que ce sont des "cadets interdits" (Les membres du Parti constitutionnel démocratique étaient appelés cadets, de l'abréviation KD du nom du parti en russe (Конституционно-демократическая партия)— 17 mars). Hippius a même rompu ses relations avec Valery Brioussov, Alexandre Blok, Andrei Belyi. Au début de 1920, les Merejkovsky, Dimitry Philosophoff et le secrétaire de Hippius Vladimir Zlobin franchissent illégalement la frontière russe-polonaise. Après un court séjour en Pologne, les Merejkovsky émigrent pour toujours en France et s'établissent à Paris pour demeurer rue du Colonel-Bonnet jusqu’à la fin de leurs jours. Les deux sœurs cadettes de Zinaïda sont restées en Union soviétique où elles ont été arrêtées et emprisonnées. Elles ont été ensuite déportées dans un camp de concentration allemand et après leur libération ont travaillé au musée d'art de Nijni Novgorod comme restauratrices d'œuvres d'art.

Zinaïda poursuit la rédaction de son Journal et correspond avec les lecteurs et les éditeurs de Merejkovsky. Nina Berberova se souvient d'eux dans ses Mémoires et de leur dialogue: -"Zina, qu'est-ce qui t'est le plus cher: la Russie sans liberté ou la liberté sans Russie? - Elle réfléchit une minute - La liberté sans Russie...parce que je suis ici et non là-bas. - Je suis ici aussi et non là-bas, parce que la Russie sans liberté est impossible pour moi, mais... Et elle reste pensive sans regarder personne - En quoi est-ce que j'ai proprement besoin de la liberté s'il n'y a pas de Russie? Que devrais-je faire de cette liberté sans Russie?"- . Elle fonde la Société de la lampe verte, cercle philosophico-littéraire qui se réunit dans leur appartement les dimanches entre 1927 et 1939 et qui comprend des auteurs, tels Ivan Bounine, et Marc Aldanoff, Nicolas Berdiaeff et Georges Ivanoff, Youri Terapiano, Gueorgui Adamovitch et Vladislav Khodessevitch. Ils traitent de sujets philosophiques, littéraires et sociaux, discutent sur la mission de la littérature en exil et sur les concepts «néo-chrétiens» développés dans ses poèmes par Merejkovsky.

En septembre 1928, les Merejkovsky sont invités par le roi Alexandre Ier de Yougoslavie à la première assemblée des écrivains russes de l'émigration qui se tient à Belgrade. Ils participent à des conférences et lectures publiques organisées par l'Académie de Yougoslavie. Ils font également une série de conférences en Italie en 1932 à propos de Léonard de Vinci, qui rencontrent un vif succès. Ils y demeurent trois ans (avec de brefs retours à Paris), car l'atmosphère à Paris était à une certaine russophobie après l'attentat de Paul Doumer. C'est une période de grand pessimisme pour la poétesse. Son idéalisme métaphysique ne semble pas concorder avec le pragmatisme matérialiste de cette époque d'avant-guerre. Elle qualifie le pacte de non-agression du 23 août 1939 entre l'Allemagne du Troisième Reich et l'URSS d'« incendie dans une maison de fous ». Elle décide de publier La Revue littéraire («Литературный смотр») qui paraît quelques mois plus tard afin notamment de mettre en garde la jeune génération de l'émigration russe parfois trop influencée de ces nouvelles idées, ce qu'elle souligne dans son article "L'expérience de la liberté".

Dimitry Merejkovsky meurt en 1941. Hippius est très durement touchée par la perte de son mari. Dans les dernières années de sa vie, elle travaille sur les mémoires, la biographie de son défunt conjoint, ainsi que sur le grand poème «Le dernier cercle», qui est paru beaucoup plus tard — en 1972. Le 1er septembre 1945, la poétesse reçoit la communion des mains du père Vassily Zenkovsky, et décède le 9 septembre de la même année.